S – Ça y est l’appel d’offres est tombé !

 

G – Et pour cause, j’ai eu le rendez-vous de brief chez le client avec la directrice de la com., le chargé de com, la chargée RSE, et le DG !

 

S – Non, je te parle du mien. Il vient d’être publié sur marches-public.gouv.fr.

 

G – Ah oui, c’est vrai, toi, tu travailles avec une plateforme : pas de visage, pas de nom… (rires)

 

S – Certes, mais je suis à égalité avec les autres candidats.

 

G – Enfin, sauf le candidat sortant !

 

S – Comme pour toi !

 

G – C’est vrai, mais la prise de brief est justement l’occasion de créer un lien, de laisser son professionnalisme agir pour poser les bonnes questions, de comprendre le niveau de gamme attendu, et de faire fonctionner l’intelligence émotionnelle pour ressentir la sensibilité de mes – j’espère – futurs clients.

 

S – Tu veux dire qu’avec le meilleur projet, tu peux perdre parce que le feeling n’est pas passé ?

 

G – Oui, ça peut arriver. C’est que le feeling n’est pas passé dans les deux sens. Donc pas d’intérêt, pas de plaisir à travailler ensemble.

 

S – C’est indéniablement un avantage. Pour ma part, la relation client commence quand le contrat est signé. Cela demande parfois une forte adaptation pour créer la relation en travaillant directement sur le montage de l’événement. Mais en même temps, l’agilité est une compétence des agences, non ?

 

G – Comment fais-tu pour être sûre de bien comprendre le brief qui porte un nom aussi bizarre que « CCTP cahier des clauses techniques particulières » ?

 

S – Avec ce « CCTP », sache que nous sommes capables de dire si on répond ou pas. Si le cahier des charges nous semble trop obscur, trop synthétique ou trop orienté, nous ne répondons pas. Dans certains cas, nous pouvons nous tromper sur ce premier choix. Mais, répondre à un appel d’offres a un tel coût financier pour une agence, en commençant par la valorisation du temps passé, que nous ne pouvons pas nous permettre un hors sujet ou une erreur de niveau de gamme.

Il est aussi fréquent qu’au fil de la préparation de la réponse, un membre de l’équipe interprète un paragraphe différemment de l’orientation initiale du chef de projet. Et ce moment met l’équipe dans un fort doute bien désagréable. Pas possible de passer un appel au client pour savoir si nous travaillons dans la bonne direction et nous rassurer. Tu parlais de feeling, et bien moi, je te parle d’analyse, et de confiance en notre expérience et en nos plus profondes intuitions !

 

G – Tu veux dire que tu ne peux pas poser de questions pour valider ton orientation ?

 

S – Seulement sur la plateforme en ligne. Les questions comme les réponses sont publiées auprès de tous les candidats. C’est vrai que cela nous oblige à limiter fortement nos questions pour ne pas donner d’information sur nos orientations aux concurrents, surtout quand l’agence est sortante. Donc en résumé, tu ne poses pas de questions autres que techniques, et tu t’appuies sur ton expérience.

 

G – À t’écouter, ce que j’apprécie encore plus dans le secteur privé, c’est de pouvoir co-construire l’événement avec le client. De temps en temps, le client choisit l’agence sur des critères autres que la proposition réelle d’un événement. Cela peut être sur un cas fictif ou sur une présentation orale de l’agence par exemple ou, plus osé encore, sur une rencontre sur un salon, dans un club professionnel ou dans un autre cadre.

L’étape suivante est un travail main dans la main avec le client. L’augmentation du nombre de séminaires de co-création que nous avons réalisés l’an dernier démontre bien à quel point le client est friand d’une vraie collaboration. C’est encore pour nous l’occasion de mettre en avant notre communauté positive !

 

S – C’est vrai que c’est assez frustrant pour nous de ne pas avoir d’oral de présentation avec le client avant son choix définitif. Nous pouvons avoir un oral de négociation, mais il n’est pas comparable avec « une vente » pendant laquelle nous travaillons à faire rêver le client et mettons tout en œuvre pour lui permettre de se projeter dans son futur événement. Pour cela, nous avons la réponse écrite au CCTP (« mémoire technique ») qui est, en plus, quelques fois contrainte en nombre de pages ou plan de réponse ; c’est un certain frein à la créativité. Mais l’exercice est très intéressant aussi et permet d’imaginer déjà les process de travail qu’il faut proposer. Il s’agit à nouveau d’être capable d’une grande agilité. Nous sommes repoussés au plus loin dans nos retranchements.

Et toi, comment se passent les oraux ?

 

G – C’est sans doute mon moment préféré. Quand, tout à coup, on sent le client basculer. C’est un vrai travail supplémentaire, car le support oral est sensiblement différent du document que nous laissons à l’écrit. Je pense aussi que le rang de passage entre les agences a son importance. Quand le client enchaîne 3 ou 4 présentations, il doit ressentir un moment de saturation. Il faut être capable de le garder en haleine, de susciter son intérêt et lui donner envie, de l’emmener, de rendre notre présentation mémorable. La capacité à être bon à l’oral permet à des projets qui ne sont pas forcément les meilleurs de gagner, parfois.

 

S – Oui, un peu comme les Oscars du meilleur acteur, non ?

 

G – À ceci près que nous ne connaissons pas toujours les nominés !

 

S – C’est-à-dire ?

 

G – Quand tu connais tes concurrents, tu prépares ton rendu aussi en fonction de leurs points forts. Dans le cas contraire, tu travailles à l’aveugle. Et toi, tu ne connais même pas le nombre de candidats. Si tu pars du principe d’une égalité de chances entre candidats, sur certains dossiers, tu dois être à moins de 10% de chance de réussite.

Qu’est-ce qui te motive à fournir un énorme travail pour une chance aussi limitée de gagner ?

 

S – En général, la contrepartie au nombre de candidats est soit la taille importante du marché, soit le fait qu’il est annuel, avec même un renouvellement tacite. Gagner des marchés annuels permet une certaine visibilité financière pour l’agence. Le jeu en vaut la chandelle.

 

G – Ok, je comprends. Et pour le budget, comment tu t’en sors ? Dans le privé, l’oral est un moment privilégié pour expliquer la démarche et notre méthodologie de construction de budget.

 

S – Sur ce point, je te l’accorde, éviter l’épreuve du BPU (Bordereau de prix unitaires) peut devenir une ambition dans la vie d’un responsable de production ! Un remplissage de lignes, tel un catalogue, sans pouvoir y mettre de la tactique sur un projet, est une véritable frustration. Il s’agit d’un engagement contractuel sur des marchés qui peuvent être des contrats cadres à l’année. Il faut parler couramment le BPU, le PU, le PU max, le forfait, le prix au m2, l’UO … ! C’est un long apprentissage. Sinon, gare aux galères une fois le marché gagné ! De surcroît, la notation du bordereau de prix unitaires dans le barème compte pour beaucoup, souvent entre 30 et 40% de la note finale. Ce qui nous oblige parfois à des choix dommageables. Impossible ou très risqué, par exemple, de présenter des goodies « made in France » qui sont tellement plus chers que ceux importés, car le prix n’est pas rattaché à une qualité. C’est une limite du BPU !

 

G – Finalement, appels d’offres publics ou privés, le challenge est tout aussi intéressant, il s’agit surtout d’une réflexion différente…

 

S – Effectivement. En revanche, pour les marchés publics, il faut une qualité supplémentaire : la patience, car tu ne connais pas la date de la réponse, ni en jour, ni en semaine, ni même en mois ! Et la véritable torture est là.

 

Mesdames et messieurs les acheteurs, si vous donnez quelques indices de l’avancée du dépouillement, mon cœur vous en sera infiniment reconnaissant !

 

Que ce soit pour le privé ou pour le public, les neurones des équipes agence s’échauffent pour préparer la meilleure réponse possible. L’approche est différente, les tactiques sont parfois opposées mais quel plaisir de réunir les deux compétences dans la même agence !

 

Sylvie & Gilles, Gens d’Evénement – Mai 2020